DONG YUAN ET JURAN

DONG YUAN ET JURAN
DONG YUAN ET JURAN

Après la révolution (755) d’An Lushan, la ville de Chang’an qui, depuis le VIe siècle, était le centre des activités artistiques, se vit destituée de son rôle de capitale. La guerre civile se répandit partout. Seules les régions au sud du fleuve Bleu (Yangzi) et le Sichuan demeurèrent des îlots de calme, favorables à l’apparition de nouveaux thèmes d’inspiration, tels que la peinture d’oiseaux et de fleurs, et à l’éclosion d’un véritable âge d’or du paysage. Au Xe siècle, dans la région du fleuve Bleu, deux grands peintres, Dong Yuan et Juran, jouèrent dans l’histoire du paysage chinois le rôle de «patriarches», modèles de l’école du Sud.

Dong Yuan

Le style traditionnel

Dong Yuan est originaire de Zhongling (actuel Nankin); si sa date de naissance et ses premières activités restent mal connues, on sait néanmoins qu’il occupait sous le règne de Zhongzhu (934-962) le poste de «vice-émissaire du Jardin du Nord» (fonctionnaire responsable des transactions du thé). On ne dispose d’aucun autre renseignement concernant ses activités sociales. Dans le domaine artistique, il semble qu’il ait subi l’influence des deux maîtres Wang Wei et Li Sixun. D’après le Catalogue de la collection impériale de l’ère Xuanhe (1119-1125) – Xuanhe huapu –, les critiques de cette époque retrouvaient dans certaines de ses peintures, traitées avec raffinement et riches en couleurs, le style de Li Sixun. Sans doute s’agit-il d’œuvres de jeunesse, bien différentes de celles qui sont représentatives de son style. Dong Yuan fut considéré plus tard comme un maître par les peintres lettrés qui s’identifiaient à l’école du Sud; pourtant, il est évident qu’il ne fut pas lui-même un lettré et il ne semble pas qu’il se soit jamais adonné à des activités littéraires – du moins n’a-t-il acquis aucune réputation dans ce domaine.

Un style «quasi impressionniste»

La grande originalité de Dong Yuan fut d’utiliser la technique minutieuse de Wang Wei et de Li Sixun pour représenter les paysages de sa région natale: vallées détrempées, montagnes brumeuses, afin d’évoquer la légèreté et l’humidité de l’atmosphère, l’exubérance de la flore.

Dong Yuan dut alors adapter sa peinture à la réalité de cette nature et son style s’en trouva notablement modifié: c’est par des touches de pinceau qu’il parvint à traduire l’imprécision des formes, le fondu de la lumière, et ces particularités de technique lui valent d’être qualifié de «quasi impressionniste». Un critique chinois du XIe siècle parle déjà de cet effet de «flou lorsqu’on examine de près la peinture, alors que les formes deviennent distinctes vues avec plus de recul [...]. Ce sont les montagnes du Jiangnan telles qu’elles sont, sans chercher à produire des falaises fantastiques [...]. Les villages s’endorment paisiblement au fond du paysage, c’est le moment où descend le soir, sur les pics lointains se reflète le couchant.» Il peint plus l’atmosphère d’un paysage qu’il n’en décrit les détails.

Diversité de l’œuvre

Dong Yuan est également connu comme un remarquable peintre animalier. Il a aussi représenté des sujets fantastiques: dragons, Immortels, Zhong Kui le dompteur de démons. Une anecdote rapporte que le Premier ministre ressentit un jour une vive émotion à la vue d’une Immortelle que Dong Yuan avait représentée sur un paravent à l’entrée des appartements de l’empereur; la prenant pour une courtisane qui attendait la visite impériale, il n’osa pas pénétrer dans la pièce. Tel était le talent réaliste de Dong Yuan.

Les catalogues anciens et les écrits des lettrés Song mentionnent plus d’une centaine d’œuvres dues à Dong Yuan. Mais actuellement ses œuvres authentiques sont très rares; parmi les plus célèbres, il faut citer Festival pour appeler la pluie (musée de l’Ancien Palais, Taiwan). Ce vaste paysage aux lignes amples et douces, ces monts et ces collines aux molles ondulations, peu accidentés, évoquent la Chine du Sud d’où le peintre est originaire. La montagne en «rides» de «fibre de chanvre» (pima cun ) descend en dégradé vers le fleuve sinueux et occupe la majeure partie du tableau. Des touches légères de «bleu roche» posées sur quelques rochers et flancs de colline donnent vie à la composition. Les personnages qui célèbrent la fête sont de minuscules points blancs à peine visibles, si bien que le sujet semble être essentiellement un paysage.

Juran

Jeunesse et exil

Les œuvres picturales du moine bouddhiste Juran furent connues à travers toute la Chine dès sa jeunesse. Au moment de la défaite des Tang du Sud devant les armées Song (975), Juran fut emmené dans la capitale des vainqueurs à Kaibao. On peut ainsi distinguer deux périodes dans sa carrière artistique: il peint d’abord les paysages de son pays natal; ses œuvres se caractérisent alors par les lignes allongées des montagnes et les rondeurs touffues des bosquets. Puis, loin de chez lui, ses peintures s’épurent et se spiritualisent.

Une douceur apaisante

Contemporain et disciple de Dong Yuan, comme lui originaire de la région de Nankin, Juran peint la même nature, adoptant la même technique impressionniste, mais avec plus de flou encore. Pourtant Juran n’est pas seulement un imitateur de Dong Yuan: s’il pose le même regard sur la nature, il la voit autrement; elle est pour lui plus paisible, moins contrastée, rendue avec une encre encore plus légère; il en résulte un style plus souple. Des ondulations de ses pima cun naissent collines et montagnes, en des tracés purs, nuancés par les dégradés de l’encre. Sur ce fond montagneux se détachent, posés en touches sombres et denses, des arbres au feuillage luxuriant.

Pour un œil occidental, l’ensemble paraît irréel et monotone. Il suffit de se laisser guider par les traces du pinceau pour se sentir charmé par la délicatesse des formes, par les subtilités de l’encre; il semble que rien n’ait été peint volontairement, mais que les herbes poussent spontanément, que le chemin serpente de lui-même. Si Dong Yuan demeure le novateur d’un style, Juran le met en pratique avec une plus grande sensibilité.

Parmi les œuvres qui lui sont attribuées, À la recherche du chemin dans les montagnes en automne (musée de l’Ancien Palais, Taiwan) est plus près de son style. En bas du paysage, constitué par une seule montagne tout en courbe, court le long d’un torrent un petit chemin qui mène à des chaumières retirées parmi les conifères. Plus haut, des bosquets et des touffes, travaillés de façon très impressionniste, couvrent çà et là les multiples accidents du terrain rendus en pima cun. La touche légère et douce du pinceau, les contours arrondis donnent une impression d’évanescence et d’irréalité.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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